Bonjour à tous.
Comme les collègues qui m'ont précédé (merci à eux pour les précieuses infos), j'ai eu le bonheur d'aller à la fabrique de mes cymbales favorites, les Bosphorus, le 4 mai 2012. Nous sommes rentrés tout à l'heure!
En avant propos, je tiens par avance à m'excuser des redites éventuelles mais il serait fastidieux de retrancher de mon récit ce qui a déjà été dit, et même bien dit.
Ce voyage au pays des cymbales était un cadeau de mes amis et de ma Chérie pour mes 40 ans (merci à la puissance 1000!). Nous avons mis plus d'un an et demi avec ma compagne à concrétiser le projet en profitant d'une opportunité sur voyage-prive.com (pub désintéressée : je recommande ce site qui nous permet depuis 2 ans de trouver des lieux de vacances en prestations "luxe" à prix cassé)
J'avais, en lisant soigneusement les messages précédents, pris le soin d'écrire très tôt à Emrah, le responsable des ventes internationales (et fluent in english...), qui est absolument parfait, à l'image de l'accueil turc en général, et avait programmé notre venue en gérant notamment notre trajet de l'aéroport à la fabrique. Malheureusement, Emrah m'enverra un mail la veille de notre départ : un empêchement personnel de dernière minute ne lui permettra pas d'être présent à la fabrique.
Arrivée à midi à l'aéroport Atatürk : on fonce faire du change (conseil : ne le faites surtout pas au bureau de change du terminal international qui prend une commission de 4%) ce qui s'avèrera inutile (voir plus loin).
L'envoyé de Emrah, Ismail, nous attend comme convenu à la porte de sortie de l'aéroport. nous échangeons quelques mots sur le foot, la turquie pendant les 25 minutes de trajet en voiture qui nous séparent de notre destination.
Après un trajet de voie rapide, nous empruntons des liaisons qui feraient penser à des chemins vicinaux mais retombent sur une bretelle d'autoroute. J'ai un peu le sens de l'orientation, mais je m'y perds... je comprends quand même que notre chauffeur prend à chaque fois des voies qui évitent les tronçons les plus embouteillés (l'automobile à Istanbul est un des premiers sujets d'étonnement pour nous, qui venons pourtant de Marseille, par le nombre, la conduite "sport" et l'engorgement mais...ce n'est pas le sujet!).
Nous finissons par quitter une voie assez roulante pour emprunter ce que je croyais être un bas-côté, mais non : c'est une petite rue de village que nous empruntons. Constructions très modestes, poules, une petite mosquée et voilà que nous nous garons le long d'un bâtiment plutôt défraîchi mais portant le fameux nom sur son fronton....
Nous croisons Hasan Ozdemir (les trois patrons s'appellent Hasan, Hasan et Ibrahim) qui nous salue et nous présente Fatos, la fille de Hasan Seker, nouvelle recrue, qui va nous guider pendant notre visite et assurer la traduction en l'absence d'Emrah. Hasan Seker nous accueille à son tour très chaleureusement.
On entame la visite en pénétrant dans l'atelier. Il doit mesurer au total 120 m2, en 3 gros espaces dont une pièce de la taille d'un salon est partagée par les marteleurs l'opérateur chargé du tournage (ciselage-rainurage) des cymbales.
Un petit couloir aveugle sert à la sérigraphie des logos et à la préparation des colis d'export.
Hasan poursuit avec l'exposé du process, fusion, laminage (avec des machines qui pourraient dater du début du siècle).
Hasan m'explique avec l'aide de sa fille (pour l'anglais) que l'on ajoute un peu d'or dans l'alliage, mais que c'est la qualité du cuivre qui est fondamentale : ici ils ont l'apparence de gros câbles électriques multibrins de 8 cm de diamètre environ. Cela convainc tout à fait ma nature pratico-pragmatique, et Hasan ne réitère pas le discours tenu habituellement sur les vertus de l'eau locale et ses micro particules métalliques et magiques.
Je réprime des pensées inavouables relatives au destin possible des câbles dérobés à la SNCF ou à aux machines de carrières et je me dirige avec Hasan vers le four tout craquelé qui est encore chaud : ils ont réalisé fusion et laminages la veille et le font seulement une fois par semaine. Le reste de la semaine semble donc consacré au découpage, martelage, ciselage etc.
Même en étant prévenu et en ayant visionné les films et images de l'atelier sur le net, le choc culturel relatif aux conditions de travail est renforcé par les impressions olfactives et auditives.
(parenthèse décodage : sur ces photos, ce qui attire le regard des ouvriers et les détourne de leur tâche, c'est la blonde beauté qui m'accompagne qui me fait l'honneur de partager ma vie et qui, bien que vêtue très sagement semblait tout à fait au goût de ces messieurs, probablement plus habitués aux nuances de brunes, celles qui ne comptent pas que pour des prunes, admettons le.)
Oui, il faut faire attention à l'endroit où l'on met les pieds, à ses déplacements et on se croirait plutôt sur un chantier (ça me parle en tant que fils de maçon) que dans une petite usine. Par ailleurs, mis à part des boules quiès, les ouvriers ne portent pas de protection. Or, les encres de sérigraphie vous décapent les sinus, le feu est au charbon, les paillettes de métaux ne demandent qu'à sauter aux yeux....
......et le tintement de 8 marteaux sur autant de galettes de bronze est assez opposé à l'effleurement d'un balai sur une ride cloutée. Et tout cela, les ouvriers le vivent pendant de nombreuses heures, quand nous avons presque physiquement du mal à l'endurer quelques minutes.
Petites natures que nous sommes,nous en serons quittes pour un mal de tête que nous associerons à l'odeur de l'encre...
Et une petite photo avec Hasan devant le tas de galettes brutes qui forment le matériau de base prêt à être façonné :
Nous clôturons la visite de la fabrique à proprement parler, passons dans un petit jardin où la vigne vierge en pergola protège déjà quelques chaises des morsures du soleil de mai et suggère qu'il fera une température redoutable dans quelques semaines.
Nous pénétrons dans le deuxième bâtiment, composé de deux pièces : la salle des cymbales à proprement parler, et un bureau à 3 postes de travail dans lequel nous prenons place autour dune table basse agrémentée de pâtisseries, magazines de batterie anglophones (dont Modern Drummer que je regrette de ne plus trouver en France).
Un autre visiteur (américain?) termine d'essayer et acheter des cymbales et Hasan nous demande de patienter un peu et nous prépare un café au lait délicieux.
Il passe le relais à Ibrahim (le 3ème boss) qui va me guider dans la séance de dégustation.
J'explique à Ibrahim ce que je cherche : Ride(s) plutôt de 22 et 20, un a priori favorable pour les modèles dessinés avec Jeff Hamilton qui est un de mes favoris et dont le poster trône sur le mur d'entrée.
Je prends place derrière une petite batterie Taye (la même que les keupains ont décrite, avec les peaux d'origine, une pédale de grosse caisse qui fait crouic et une bonne couche de poussière
) où 4 stands de cymbale sans papillon attendent... Je ne change rien à la disposition, un peu en vrac et inconfortable et c'est parti.
Ibrahim commence à me poser une galette, série Hammer, qui me semble être une 20 et qui sonne déjà d'enfer. Je me dis que ça commence fort quand il en installe une deuxième "à poil" (sans inscription ni logo) sur un autre pied, puis une autre encore.
Et là, le temps, voire l'espace disparaissent. J'ai furtivement une pensée pour ma chérie, admirable, qui observe mes interrogations mystiques depuis une petite chaise et doit prendre son mal en patience. En voilà une preuve d'amour, je vous le dis!
J'en mets de côté, je retiens 3 cymbales sur 6 ou 7, et Ibrahim m'apprend que deux sont... des 19", ce que je n'avais pas imaginé et qui n'était pas mon choix a priori. Je pense d'un coup à la galette philosophale de Syrian (coucou mon grand, tu as le bonjour d'Ibrahim).
Il me passe une paire de charleston Hammer de 14", pour se faire une idée du mix ride/chick au pied.
Je remise les deux 19", Ibrahim installe d'autres "Hammer", des 20", 21", des 22". Je retiens deux 22" qui sonnent assez différemment l'un de l'autre. Je les passe, repasse, je place une 22" et une 19", je change encore. Cela dure peut-être une heure, peut-être plus?
Je défais ma chaînette de cou pour simuler des rivets, Ibrahim apporte des rivets qu'il fixe avec des scotchs, j'écoute et réécoute le son sec et avec rivets.
A un moment, sans trop y réfléchir, je m'aperçois qu'il y a une des deux 22" Hammer que je ne teste plus mais que je joue comme si j'étais chez moi. Je la garde, et je lui associe les deux 19" pré-retenues, pour garder finalement encore une Hammer, celle sans logo qui a aussi obtenu une moue approbatrice de Ibrahim.
On continue, Ibrahim passe encore les plats comme il le sent, installe une china qui sonne très bien mais que je rejette (j'aime pas ça), puis la nouvelle Trash Crash de Stanton Moore, une sorte de mélange entre ride/crash et china. Elle ressemble visuellement à une ride, mais avec des gros "ventres", des creux façonnés au martelage proches de la périphérie.
Hasan Ozdemir est rentré et participe, il me fait essayer une crash étrange qui est courbée très régulièrement dans une seule dimension, un peu comme si on avait essayé de passer une cymbale au rouleau à pâtisserie. Elle sonne finalement assez traditionnelle...
Au tour d'Ibrahim de sortir un monstre, une ride de 29", oui 74 cm. Apparemment une demande régulière des clients d''Allemagne. Ach! Der Grösse zymbal!
Et d'une, je me dis qu'on ne peut pas tout garder non plus.... et de deux, j'ai la sensation que, comme lorsque l'on doit essayer des parfums dans une parfumerie, les capacités sensorielles et de jugement s'altèrent dans le temps et que je risque fort de ne plus distinguer une ride d'ne crash si je poursuis trop longuement l'exercice et si je m'éparpille
Tout en dégustant un thé, je me résous à prendre la décision finale pour mes deux rides quand Ibrahim pose sur le stand une sorte de master vintage, mais tournée sur sa face inférieure et sans logo, une 20". Terrible, une galette qui est si souple qu'elle danse sous les baguettes, sachant que c'est déjà une propriété commune aux bosphorus en raison de leur finesse. Mais là c'est fou. Le ping est un peu sec, mais pas au niveau d'une De Johnette tout de même, les harmoniques s'éteignent très vite sur les ping appuyés ou sur les crashs.
Obligé de la garder.
Et me voilà avec 3 cymbales idéales pour un set jazz de mon goût, un choix confirmé par ma Chérie qui trouve qu'elles se distinguent bien tout en se mêlant harmonieusement les unes aux autres :
une Hammer de 22" de 2388g, fine mais pas trop pour garder de la définition et pour bien sonner avec deux rivets,
une Hammer de 19" de 1280g bonne à tout faire,
et une proto Master vintage de 20" de 1600g pour trancher dans le ride et les accents.
Je demande à Ibrahim de compléter le dispositif par une charlé de 15", qui "irait bien".
On recommence le manège, avec l'aide de 3 tilters de charleston ce qui permet des comparaisons rapides. Le Master de 14" qui m'avait tenu compagnie dans ces essais ne m'avait pas convaincu en vrai, et il était sujet à l'air-lock (je n'ai pas non plus le talent de Hamilton pour m'en affranchir). Les premiers 15" Hammer ne sont pas décisifs non plus. Je sors aussi les balais pour entendre l'accord entre les fermetures, les splash au pied et le tempo aux balais.
Ibrahim ajuste et semble comprendre sans mots ce que je veux, il monte un bottom de hammer en top, et un bottom de regular... C'est mieux. Il fait encore divers mélanges et je m'arrête enfin sur une combinaison qui se révèle être un top "dark" regular de 1kg et un bottom regular de 1kg500.
Quand il explique ce qu'il fait à notre traductrice, il prononce plusieurs fois "onbesh" (cela s'écrit onbeş), et je comprends que cela veut dire "15".
Voilà mon charley baptisé.
On fait les additions, les tarifs sont exprimés en euros. On discute, on s'accorde, puis Ibrahim emporte avec lui les cymbales qui ne sont pas encore logotées pour la sérigraphie, ainsi que la 22" Hammer au perçage de deux trous pour la pose de rivets.
Ibrahim en profite pour montrer qu'une main de maître comme la sienne sait tourner une cymbale en quelques secondes avec deux gouges successives.
Hasan et Ibrahim terminent avec des cadeaux : deux T-shirts, une poignée de rivets maison (quand je pense au prix facturé pour 5 rivets chez nous), un sac de cymbales, qui a une valeur de 15 euros à la vente selon eux, mais qui vaudrait bien plus dans nos magasins car c'est une modèle bien rembourré, avec séparateurs internes, poche externe et portage par sangle d'épaule ou bien avec bretelles sac à dos. Exactement le genre de modèle que je recherchais pour me déplacer facilement.
Nous repartons avec Ismail pour notre hôtel en Centre ville, les yeux, les oreilles pleines d'images et de sensations uniques. Ismael se lâche un peu sur le prix demandé pour le trajet retour; 10 euros de plus que ma participation convenue, mais je ne relève pas car il a passé la demie journée avec nous et en fin de compte cela reste bien en deçà d'un trajet en taxi français (ou turc!).
Nous passons un séjour superbe à Istanbul; une ville envoûtante et étonnante à bien des points de vue, même si nous n'en avons vu qu'une infime fraction en 4 jours.
Pas de souci lors du vol de retour, pas de contrôle en douane (sans facture, je ne sais pas comment j'aurais engagé la discussion avec les douaniers...).
A la maison, ces merveilles sonnent superbement. Mais il faut se faire une idée en live, avec le groupe : premières confirmations auditives plus tard, on a une date début juin.
Amitiés à tous